Transition écologique de l’aérien – Interview de Yannael Billard, Responsable du Département Environnement Énergie du Groupe ADP
Face à l’urgence environnementale, le secteur aérien se mobilise autour de la réduction de son impact écologique. Dans de nombreux cas, les technologies numériques feront partie des solutions déployées. Mais au moment du bilan, comment s’assurer que les gains obtenus par le digital seront supérieurs aux émissions liées à son usage ? Nous avons posé la question à Yannael Billard, Responsable du Département Environnement Énergie du Groupe ADP. Entretien.
- Bonjour Yannael Billard. Quelle est la position du Groupe ADP sur l’usage des technologies au service de la transition écologique ?
- Comment le Groupe ADP évalue-t-il la pertinence de l’usage des technologies ?
- Dans le cas de technologies de rupture, sans véritable recul sur leur usage, comment être certain de ne pas se fourvoyer ?
- C’est aussi dans la philosophie du Green Airport, si je ne m’abuse…
- Quelles sont les ambitions environnementales du Groupe ADP sur les prochaines années ?
- Le Groupe ADP a décidé de répondre à l’appel à projets européen de recherche et d’innovation permettant la transition vers une économie sans carbone (The European Green Deal), quelles en sont les grandes orientations ?
- Pour faire le lien avec le début de notre échange, comment allez-vous mesurer concrètement l’impact des technologies utilisées sur la réduction de l’empreinte technologique ?
Bonjour Yannael Billard. Quelle est la position du Groupe ADP sur l’usage des technologies au service de la transition écologique ?
La transition environnementale est une nécessité, je ne pense pas qu’il y ait à revenir sur le sujet. Et la technologie fait effectivement partie des possibilités d’action, dans le cas où elle serait pertinente. Par exemple si nous prenons la question climatique, qui est sans doute la plus médiatisée aujourd’hui, la feuille de route repose sur 4 piliers : des actions opérationnelles, des améliorations continues et des améliorations disruptives portant sur l’avion, l’arrivée des carburants aéronautiques durables et le recours à des mécanismes de marché. Les technologies numériques peuvent être utiles dans les 3 premiers cas. Du côté des opérations, le digital peut notamment améliorer les trajectoires en vol ou les temps de roulage au sol. La technologie a aussi un rôle à jouer dans les innovations de rupture, comme celle de l’avion hydrogène.
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Comment le Groupe ADP évalue-t-il la pertinence de l’usage des technologies ?
Quand je parlais de pertinence, je l’évoquais sous l’angle de l’environnement, du développement durable. Je vais prendre volontairement un exemple un peu polémique pour clarifier mon propos : les biocarburants à base d’huile de palme. Du point de vue économique ou technologique, l’idée peut se comprendre. En revanche, si on fait le bilan carbone global, et qu’on intègre toutes les externalités positives et négatives sur l’ensemble du cycle de vie, le bilan n’est pas forcément aussi reluisant. Il faut donc avoir une forme d’esprit critique pour s’assurer que la technologie à laquelle on veut avoir recours pour améliorer telle ou telle trajectoire environnementale n’est pas en train de déplacer le problème ailleurs.
Dans le cas de technologies de rupture, sans véritable recul sur leur usage, comment être certain de ne pas se fourvoyer ?
C’est une bonne question. On ne peut effectivement pas différer la réponse à l’urgence climatique. Pour autant, on ne peut pas faire abstraction de l’importance d’avoir un esprit critique face à la technologie. La manière dont le Groupe ADP a choisi d’avancer, c’est de ne surtout pas travailler tout seul. Je pense que ce serait la pire des erreurs de travailler en vase clos. Nous avons besoin de nous appuyer sur des partenaires experts, comme nous avons aussi besoin de nous appuyer sur des associations et sur la société civile qui vont nous challenger. Il faut vraiment aller chercher le regard critique là où il est et s’en nourrir.
C’est aussi dans la philosophie du Green Airport, si je ne m’abuse…
Oui, tout à fait. Le travail collaboratif permet de mutualiser les idées et les points de vue. Collectivement, nous progressons plus vite sur notre appréciation de la qualité des technologies, de leur intérêt, de ce qui pourrait fonctionner ou pas. Bien évidemment, le fait d’avoir des financements européens est certainement une importante source de motivation pour beaucoup de monde, y compris pour le Groupe ADP, mais il y a aussi une vraie valeur dans le simple fait de partager et de travailler en groupement sur l’avenir de l’aérien dans le respect de toutes les composantes environnementales.
Quelles sont les ambitions environnementales du Groupe ADP sur les prochaines années ?
Sur notre périmètre interne, et sur le plan climatique, notre ambition est d’atteindre la neutralité carbone en 2030 pour tous les aéroports du Groupe ADP. Nous avons aussi pris l’engagement de zéro émission nette de CO2 en 2050 pour 7 aéroports du Groupe. Quelle est la différence ? Dans le cas de la « neutralité carbone », on s’autorise de la compensation carbone, par le financement de projets de reforestation par exemple. Dans le cas de « zéro émission nette », il n’y a aucune compensation. À noter que 2050 est une date « au plus tard » qui, de toute évidence, devra être avancée. Beaucoup d’aéroports européens viennent d’ailleurs de l’avancer à 2030. Du côté du Groupe ADP, nous n’avons pas encore défini de date précise : nous ressentons le besoin d’avoir davantage de visibilité sur la reprise du trafic, sur les dates du futur contrat de régulation économique et, au demeurant, sur les règles précises de comptabilisation des émissions de CO2 et d’éligibilité au concept de zéro émission nette.
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Cependant ces engagements portent sur le périmètre interne au Groupe ADP, sur nos propres consommations : notre électricité, notre chaleur, nos véhicules, etc. C’est nécessaire, mais ce n’est évidemment pas suffisant. Nous devons appréhender le bilan carbone sur le Scope 3, c’est-à-dire en intégrant les émissions de tous nos tiers : les émissions des compagnies aériennes, les émissions des passagers et des salariés quand ils viennent à l’aéroport … Même si le Groupe ADP n’est pas responsable de ces émissions, il peut faciliter, inciter, influencer… Il y a un vrai enjeu, et un véritable défi, sur le scope 3. Nous ne pouvons pas interdire aux gens de venir à l’aéroport s’ils veulent s’y rendre avec une voiture thermique et nous ne pouvons pas empêcher un avion de décoller avec du kérosène. Pour autant, nous pouvons faciliter ces transitions environnementales, sujet extrêmement important qui mérite toute notre attention et toute notre énergie.
Le Groupe ADP a décidé de répondre à l’appel à projets européen de recherche et d’innovation permettant la transition vers une économie sans carbone (The European Green Deal), quelles en sont les grandes orientations ?
Nous avons travaillé sur différents axes :
- la mobilité côté ville ou comment nous pouvons assurer un accès décarboné aux plateformes aéroportuaires ; comment nous pouvons assurer davantage d’intermodalité ; comment nous pouvons assurer des solutions intelligentes pour optimiser la fréquence des moyens de transport.
- la mobilité côté pistes ou comment nous pouvons nous assurer d’avoir des engins et des infrastructures décarbonés, des logiciels pour aider à planifier les besoins en charge ; comment nous pouvons nous assurer que la technologie nous permettra d’améliorer les prévisions, les temps de roulage, de repérer les fuites éventuelles.
- les terminaux, la biodiversité et la gestion des déchets. Nous parlons ici d’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables : comment nous nous assurons d’être plus sobres dans notre consommation, dans nos éclairages, dans l’isolation, dans des vitrages intelligents ; comment nous nous assurons de choisir des matériaux à moindre impact carbone pour la rénovation des pistes CDG par exemple ; comment nous nous assurons d’optimiser la gestion de la biodiversité sur nos plateformes ou comment nous allons offrir des alternatives au tout-déchet aux passagers pendant les Jeux olympiques.
Au-delà de ces exemples, notre projet recouvre bien d’autres sujets qui nous permettront d’agir de manière globale en faveur de l’environnement.
Pour faire le lien avec le début de notre échange, comment allez-vous mesurer concrètement l’impact des technologies utilisées sur la réduction de l’empreinte technologique ?
C’est justement une des exigences de la Commission Européenne, dans le cadre de son appel à projets. Les mesures d’impact seront coordonnées par Bureau Veritas. L’objet de leur mission sera d’établir un état initial d’émissions de CO2, de qualité de l’air, de consommation d’eau ou d’énergie, de biodiversité, etc. puis de mesurer les progrès pour, in fine, faire la preuve par A+B du niveau de réduction de l’empreinte environnementale grâce aux différentes innovations déployées.
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