Supply Chain Mondiale : est-ce la fin d’un cycle ?
Mis à mal par la crise sanitaire puis par les tensions géopolitiques en Europe de l’Est, notre modèle économique basé sur une mondialisation débridée semble montrer ses premières limites. La thrombose de la supply chain mondiale serait-elle l’opportunité de repenser la filière de production et d’approvisionnement des entreprises européennes ?
La crise sanitaire a fortement perturbé la supply chain mondiale, provoquant une alternance de coups d’arrêt et de reprises brutales dans la filière logistique, ces deux dernières années. D’est en ouest, la saturation du trafic maritime a plongé le monde dans un désarroi économique.
Le président de la Réserve fédérale américaine (FED), Jérôme Powell, a déclaré ne pas attendre de retour à la normale avant 2023. Mais un retour à l’avant 2020 est-il possible ? N’avons-nous pas atteint les limites d’un modèle économique basé sur une mondialisation débridée ?
Constat d’une thrombose de la supply chain mondiale
La thrombose de la supply chain mondiale a mis en exergue les limites d’un modèle économique mondial, où une région du monde produit ce que les autres pays consomment. En effet, aujourd’hui, 40% de la production industrielle mondiale provient des usines situées dans un rayon d’action de 1000 km autour du triangle Pékin – Hong-Kong – Tokyo.
Au printemps 2020, la série de confinements imposés par les gouvernements locaux a mis à mal le secteur du transport et de la logistique. Rappelez-vous ces nombreux porte-conteneurs en attente de déchargement dans les ports mondiaux… Kuehne+Nagel les avait estimés au nombre de 612 en février 2021.
Car la reprise avait été aussi brutale que l’arrêt. À l’été 2020, l’économie redémarre fortement, tirée par l’e-commerce. À ce moment-là, les armateurs estiment à 99% leur flotte en activité, alors que la moyenne normale se situe autour de 95%.
C’est ainsi que commence la thrombose de la supply chain mondiale. Et elle va s’accentuer en 2022 à la suite de nouvelles vagues épidémiques et de tensions géopolitiques dans des régions stratégiques du monde.
Quand le gouvernement chinois met en place la politique Zéro Covid dans son pays, ce sont près de 200 millions d’habitants confinés partiellement ou totalement dans 23 villes chinoises. Les mesures prises ont créé un véritable chaos dans la filière logistique, notamment dans le transport maritime avec le blocage complet du port de Shanghai.
La guerre en Ukraine a provoqué d’autres perturbations importantes dans le trafic maritime. En juin 2022, le blocage du port d’Odessa par les Russes laisse craindre une importante crise alimentaire mondiale, avec l’arrêt des exportations de céréales (l’Ukraine est l’un des premiers exportateurs de blé dans le monde).
Cette région du monde étant située sur le couloir des exportations mondiales de l’Asie vers l’Europe, on observe actuellement un détournement du trafic routier et ferroviaire. Cette remise en cause de la route de la soie historique est-elle le signe d’un changement d’envergure mondiale ?
Faut-il revoir notre modèle économique ?
Le modèle économique actuel est basé sur la mondialisation, c’est-à-dire « l’ouverture des économies nationales sur un marché mondial, entraînant une interdépendance croissante des pays. »
Ces deux dernières années ont révélé les limites d’un système économique basé sur une interdépendance trop accrue. Nous n’avons pu que constater l’extrême fragilité des pays occidentaux sans les exportations asiatiques.
Le ralentissement de la production industrielle en Chine, couplé à des coupures ponctuelles d’approvisionnement, a déclenché des conséquences désastreuses sur l’économie européenne :
- Manque de matières premières (pénurie des semi-conducteurs),
- Envolée des prix et inflation constatée dans les pays occidentaux,
- Mise en danger des PME françaises (les problèmes d’approvisionnement empêchent la réalisation de certains contrats dans le secteur du bâtiment, de l’automobile, etc.).
L’envolée du prix d’un conteneur est la preuve de ce dérèglement mondial. Alors qu’il tournait autour de 1600 euros avant la pandémie, le tarif pour acheminer par bateau un conteneur entre l’Asie et l’Europe avoisine aujourd’hui les 15 000 euros.
La saturation des trafics maritimes et routiers, associée à un coût du transport de plus en plus élevé, serait-elle une opportunité pour repenser notre modèle économique ? Les entreprises ont-elles intérêt à revoir leur stratégie de production et d’approvisionnement ?
Lire aussi : « Robot mobile autonome (AMR) : a-t-on (enfin) trouvé le chainon manquant entre production et logistique ?«
Quels sont les enjeux mondiaux de la supply chain ?
Depuis toujours, les pays européens veulent être les bons élèves du monde. En faisant le choix d’un modèle sociétal élevé, nous avons augmenté le coût de la ressource humaine. À tel point qu’il est devenu plus rentable de produire à l’autre bout du monde et d’exporter.
Aujourd’hui, les valeurs humaines et environnementales prennent de plus en plus d’importance aux yeux des consommateurs (plus que les valeurs économiques ?). Le nouvel enjeu de l’Europe est d’opérer sa transition écologique. Et comme toujours, le Vieux Continent a le syndrome du bon élève.
Mais quel est le coût de cette transition écologique ? Des investissements financiers substantiels et des conséquences majeures sur l’emploi. Pour ne citer qu’un exemple, les 27 membres de l’UE ont décidé d’interdire les ventes de voitures thermiques neuves dès 2035. Quid du secteur automobile, des sommes d’argent nécessaires pour réorganiser la production et former le personnel entre autres ?
Mais quel est l’intérêt de telles mesures si de l’autre côté du monde, la Chine continue d’augmenter sa consommation annuelle de charbon (+4,7% en 2021) avec notamment une consommation totale de charbon en milliards de tonnes qui représente plus de la moitié du total mondial (53% en 2020).
La combinaison de multiples facteurs a plongé le monde dans une crise sans précédent. Ce contexte économique inédit oblige les entreprises européennes à s’adapter, notamment en rapatriant des capacités stratégiques telles que les nouvelles technologies, les biens de première nécessité, la cybersécurité, etc.
Le déséquilibre mondial a également encouragé certaines entreprises à relocaliser en Europe une partie de leur production afin de mieux contrôler leur filière d’approvisionnement. Et pour faire plaisir à leurs consommateurs (démarche RSE)… C’est ce qu’on appelle la stratégie « China + One » : produire en Chine et dans un autre pays dont les valeurs s’apparentent davantage aux normes occidentales.