Les crises récentes ont modifié radicalement le rapport des Français à la digitalisation
Je crois beaucoup au fait que certains sujets nécessitent un catalyseur pour progresser. À l’image de ces réactions chimiques qui ont besoin d’un élément extérieur pour se déclencher. J’ai le sentiment que les grèves de la fin 2019 et la crise actuelle du Covid-19 ont accéléré l’adoption des nouvelles technologies par les Français. Elles ont apporté un changement d’usage, en l’occurrence vers plus de digital, qui nous semblera demain une évidence.
La généralisation des échanges à distance
Ces deux moments ont généré des contraintes qui nous ont obligés à penser différemment. Que ce soit des déplacements rendus plus difficiles par la survenue d’un mouvement social, des moyens de transport qui deviennent potentiellement des lieux de contamination ou des mesures fortes en matière de distanciation sociale. Jamais la question du télétravail n’aura autant progressé que ces six derniers mois. Tout comme celles des réunions à distance, de l’équilibre familial et des liens intergénérationnels.
Un exemple fort de ces changements d’usage est la croissance incroyable de l’application de visioconférence Zoom. L’application de l’éditeur californien est passée de 10 millions d’utilisateurs en début d’année à 200 millions quotidiennement. Ce qui est d’ailleurs assez savoureux lorsqu’on pense aux critiques régulières dont Zoom a fait l’objet sur la question de la protection des données personnelles.
Je trouve aussi admirable le travail réalisé par le corps professoral pour assurer la continuité pédagogique. On parle souvent de la difficulté à transformer une grande organisation, mais dans le cas du Ministère de l’Éducation, c’est une réussite. Dès la fin février 2020, une circulaire1 était adressée aux différents rectorats pour anticiper la fermeture des classes. Les établissements qui le souhaitent peuvent s’appuyer sur le dispositif des classes virtuelles du CNED et sur un ensemble de ressources numériques éducatives permettant de couvrir une période de 4 semaines.
Enfin, même s’il semble avoir moins pris, citons l’exemple des téléconsultations de médecine que proposent les Mutuelles à leurs adhérents. Il est sans doute encore trop tôt pour mesurer l’impact qu’aura l’ouverture massive de tous ces services numériques sur les habitudes des Français, mais c’est toujours un pas de plus dans la démocratisation des technologies digitales.
Le risque de nouvelles inégalités au sein des entreprises
Comme nous venons de le voir, des solutions de substitutions et de contournements ont rapidement vu le jour. À l’instar des grandes universités, dont les cours magistraux se déroulent désormais à distance, ou celui plus symbolique de l’appareil politique européen (et de l’administration au sens large) utilisant les nouveaux moyens de communication sur IP.
A contrario, ces évènements mettent aussi en lumière tous ces pans de l’économie française qui ne peuvent pas être dématérialisés. Je pense notamment au secteur du spectacle vivant ou à celui du tourisme, complètement à l’arrêt. Nous devrions être vigilants sur ce nouveau fossé qui est en train de se creuser, entre les tâches qui peuvent être réalisées à distance et celles qui ne le peuvent pas. On pense naturellement à l’hôpital, mais il y a aussi tous les métiers de la propreté, de la production industrielle ou de l’artisanat. Il ne faudrait pas non plus que s’installent de nouvelles tensions entre les cadres télétravailleurs et les collaborateurs restés sur le terrain.
Je pense enfin à un autre point de vigilance : celui de la continuité de la démocratie en moment contraint. La classe politique s’est longuement exprimée sur la question du maintien ou non des élections municipales, mais à aucun moment le sujet du vote électronique n’a été traité. Nous devrions peut-être ouvrir ce débat si le confinement devait perdurer au-delà des prochaines semaines.
Dans quelques années, nous aurons probablement oublié que certaines de nos habitudes de vie proviennent de décisions prises dans l’urgence de la crise. À l’instar de Yuval Noah Hariri, professeur à l’université de Jérusalem et auteur entre autres de l’excellent Sapiens, qui raconte que cela faisait 4 ou 5 ans que se posait la question des cours magistraux en vidéo. Désormais, personne ne se la pose plus. La continuité des cours à distance est une évidence. Et il y a de nombreux exemples comme celui-là de questions sur lesquelles nous avons buté intellectuellement, et qui nous apparaîtront avec le recul dans quelques mois comme l’évidence même.
Gardons cependant en tête que l’utilisation massive des nouvelles technologies digitales ne doit pas se faire au détriment des relations en face à face. Rien ne remplace la rencontre physique, ne serait-ce que pour établir un premier niveau de confiance entre les interlocuteurs. Rappelons-nous aussi que certaines tâches ne peuvent pas être pour l’heure dématérialisées, et qu’il est de notre devoir de ne pas faire émerger de nouvelles inégalités.
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