Éco-conception de services numériques : comment tendre vers davantage de sobriété ?
Dans son rapport, la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat indique que les émissions en gaz à effet de serre (GES) du numérique pourraient augmenter de 60% d’ici à 2040, si rien n’est fait, soit 6,7 % des émissions de GES nationales. Les acteurs du numérique ont donc un rôle à jouer pour contenir, voire diminuer, l’impact de leurs activités. Cette quête de sobriété s’étend à l’ensemble des composantes des services numériques, actuels et à venir, tant au niveau hardware que software. Et ce tout au long de leur cycle de vie. Dans ce contexte, la phase de conception est une étape clé du numérique responsable. Adopter dès le départ une démarche d’éco-conception permet de mettre fin au sempiternel “toujours plus de puissance et de mémoire machine” pour fonctionner. Nous allons voir comment.
Qu’est-ce que l’éco-conception de logiciels ?
L’éco-conception de logiciels est une approche visant à réduire l’impact environnemental des technologies digitales en concevant des solutions plus durables et plus respectueuses de l’environnement. Cette démarche s’applique à toutes les étapes de développement, depuis la conception jusqu’à la fin de vie.
Elle repose sur plusieurs principes clés, tels que la réduction de la consommation d’énergie, l’utilisation de matériaux durables et recyclables, la maîtrise de la production des déchets électroniques, la prise en compte de l’ensemble du cycle de vie des produits et des logiciels, et l’intégration de critères environnementaux dans le processus de décision.
Quels sont les enjeux de l’éco-conception de logiciels ?
Initiative isolée il y a encore quelques années, l’éco-conception de logiciels intègre aujourd’hui de plus en plus de modèles d’affaires. Les fortes attentes sociétales et l’urgence climatique poussent les acteurs du numérique à prendre leurs responsabilités. Elle est aussi un formidable levier de réduction des coûts de production et de maintenance, d’attractivité de la marque aux yeux des différents publics de l’entreprise, et d’innovation. Plus de 450 acteurs du numérique (dont Hub One) ont ainsi signé la Charte du numérique responsable. Ils s’engagent à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux liés à leurs activités, à contribuer à une transformation numérique responsable et à mettre en place une démarche d’amélioration continue.
Des enjeux écologiques
Le numérique représentait 2,5% de l’empreinte carbone à l’échelle nationale en 2020[1]. La dernière étude de l’ADEME-ARCEP de mars 2023 fait état selon les scenarii d’un triplement des émissions de CO2 liées au numérique d’ici 2050. En 2030, le trafic des données pourrait être multiplié par 6 et le nombre d’équipements pourrait augmenter de 65% par rapport à 2020. Il est donc urgent d’agir pour contenir l’impact du secteur sur l’environnement
Des enjeux réglementaires
Les évolutions récentes du cadre réglementaire visant à restreindre l’impact des activités humaines (dont l’usage du numérique) témoignent d’une certaine prise de conscience politique et sociétale. La loi REEN, promulguée le 15 novembre 2021, a ainsi 5 objectifs : sensibiliser les populations à l’empreinte environnementale du numérique, allonger la durée de vie des appareils numériques en favorisant notamment le réemploi, faciliter l’adoption d’usages numériques écoresponsables, promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores, et enfin promouvoir des stratégies numériques responsables dans les territoires.
Des enjeux économiques
L’adoption de pratiques éco-responsables dans la conception de logiciels permet de réduire les coûts énergétiques, en diminuant la consommation d’énergie nécessaire au fonctionnement des équipements informatiques. L’écoconception permet aussi de prolonger la durée de vie des logiciels en évitant leur obsolescence rapide, ce qui réduit les coûts de remplacement et de maintenance.
Cependant, le coût projet d’une démarche en éco-conception de logiciels n’est pas neutre. La formation des équipes et leur temps de mobilisation, parfois plus longue qu’avant, doivent être pris en compte. À noter que ce coût tend à diminuer, du fait de l’enseignement de l’éco-conception de logiciels dans la plupart des cursus d’ingénieurs informatiques et de développeurs.
Des enjeux d’image de marque
Les parties prenantes de l’entreprise (clients, partenaires, collaborateurs) sont de plus en plus sensibles à l’impact environnemental et social de ses activités. En adoptant une démarche en éco-conception de logiciels, l’entreprise peut répondre à leurs attentes, renforcer leur confiance envers elle et favoriser leur engagement.
Comment tendre vers davantage de sobriété avec l’éco-conception de logiciels ?
L’éco-conception doit être pensée de manière globale. Il s’agit non seulement d’optimiser le code, mais aussi l’architecture du logiciel en prenant en compte l’impact environnemental de chacun des équipements impliqués dans sa mise en œuvre.
Elle doit surtout inviter à se poser les bonnes questions au sujet de l’expérience utilisateur. Auparavant, la pratique était plutôt d’épater avec des solutions complexes disposant de nombreuses fonctionnalités, à la recherche de l’effet « Waouh ». Aujourd’hui, l’utilisateur est en attente d’un parcours simple et intuitif. Il faut donc se concentrer sur l’essentiel et le strict nécessaire.
La règle des 3 U
Pour rendre une application, un logiciel ou un site internet numériquement responsable, il faut travailler sur la sobriété de ses fonctionnalités. Pour cela, le principe est d’utiliser la règle des 3U : utile, utilisable, utilisé.
- Utile : le produit ou service numérique doit répondre à un besoin réel et apporter une valeur ajoutée à l’utilisateur. Il doit être conçu en fonction des besoins, des motivations et des attentes des utilisateurs, et proposer des fonctionnalités et des services adaptés à leurs besoins.
- Utilisable : le produit ou service numérique doit être facile à utiliser et à comprendre pour les utilisateurs, même sans formation spécifique. Il doit être conçu en fonction des compétences, des connaissances et des habitudes des utilisateurs, en proposant une interface utilisateur claire et intuitive, des menus simples, des boutons explicites, etc.
- Utilisé : le produit ou service numérique doit être effectivement utilisé par les utilisateurs, c’est-à-dire qu’il doit répondre à leurs besoins de manière satisfaisante. Il doit être testé auprès des utilisateurs pour s’assurer qu’il est adapté à leurs besoins et qu’il est utilisé de manière régulière.
Il faut savoir que 45% des fonctionnalités des sites internet ne seraient jamais utilisées et 70% ne seraient pas essentielles d’après Frédéric Bordage, auteur de Eco-conception web, les 115 bonnes pratiques, ancien développeur et architecte logiciel, à l’origine de GreenIT.fr.
Adopter les bons réflexes
Pour faire preuve de sobriété numérique, il faut aussi avoir de bons réflexes et bannir certaines actions comme l’envoi de mails inutiles sur les applications, sites web, etc., et se focaliser uniquement sur les mails nécessaires.
Dès la démarche de conception, il faut se poser les bonnes questions sur tout ce qui peut générer de la consommation de ressources numériques ou électriques. Est-ce nécessaire ? Puis-je faire autrement ? Est-ce que je peux optimiser le code ? quelle est la maintenabilité et le potentiel d’évolution de mon logiciel ? Comment le logiciel peut-il être compatible avec les générations de terminaux/équipements les plus utilisés ? Ce questionnement permet d’optimiser au maximum sa consommation de ressources, sans dégrader la qualité de la réponse au besoin utilisateur
Prolonger la durée de vie des logiciels
Au-delà de l’éco-conception, de nombreux acteurs ont formalisé une démarche plus globale de Green IT. Les Directions des Systèmes d’information (DSI) travaillent notamment sur l’axe du matériel informatique, par l’achat de matériels labellisés par exemple, la mutualisation des équipements, les paramétrages intelligents, le recours au matériel reconditionné, ou le remplacement des pièces défectueuses plutôt que de changer le matériel entier.
De même pour les téléphones portables professionnels, les entreprises font de plus en plus le choix de la longévité et du reconditionné. Elles sensibilisent leurs collaborateurs à un usage raisonné des appareils mobiles, en les invitant à résister à l’attrait de la nouveauté si les performances du matériel actuel répondent parfaitement aux usages souhaités.
Dans un contexte de crises à répétition, crise sanitaire, économique, géo politique et environnementale, agir pour l’environnement apparaît comme une démarche positive, pleine d’espoir, nécessaire et créatrice de valeur pour les générations à venir. Nous sommes au début d’une histoire nouvelle pour le secteur du numérique, un changement de modèle où l’on doit faire mieux avec moins, tout en suivant les progrès technologiques. Chercher le paradoxe ! Il y a de nombreuses initiatives qui émergent, des start-ups qui trouvent des idées disruptives, mais in fine peu de mesures sont encore fiables, vérifiables et partageables. Et c’est pourtant, le nerf de la guerre. Mesurer pour prioriser les actions et agir là où les impacts seront plus importants et suivre l’efficacité de ce qui aura été engagé.
Pour aller plus loin, vous pouvez découvrir la politique RSE du groupe Hub One : https://www.hubone.fr/developpement-durable/
[1] Source Arcep